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Le Cambodge des oiseaux
Le Cambodge des oiseaux
Diversité. L'avifaune du Cambodge est assez peu connue. A la fin des années 1960, une liste provisoire d'environ 400 espèces a été dressée mais jamais publiée. Durant les trente années qui suivirent, la situation intérieure du pays a empêché toute recherche dans ce domaine. Ce n'est qu'au milieu des années 1990 que les études ont pu reprendre. Elles se sont d'abord concentrées sur les espèces d'oiseaux d'eau menacées vivant dans les nombreuses zones humides du pays et notamment sur le Tonlé Sap dont l'écosystème unique et le vaste habitat sauvage faisaient pressentir l'importance pour de nombreuses espèces en déclin. Diverses études menées par le Wildlife Conservation Society, World Wildlife Fund ou Fauna & Flora International aux quatre coins du royaume ont largement complété nos connaissances sur la distribution et la présence d'espèces habitant les forêts, côtes, rivières et prairies cambodgiennes. A ce jour, 530 espèces ont été répertoriées, mais il y en a de nouvelles ajoutées chaque année. Selon toute probabilité, plus de 600 espèces peuplent le royaume, soit plus que dans toute l'Europe, une diversité assez remarquable pour un pays de taille modeste tel que le Cambodge. Parmi elles, environ 40 espèces figurent sur la liste rouge de celles globalement menacées.

Le Tonlé Sap, le gîte et le couvert des oiseaux d'eau
Le grand lac et sa vaste ceinture de forêts inondable est le dernier refuge en Asie du Sud-Est pour de nombreux oiseaux d'eau menacés comme le pélican à bec tacheté, le grand et le petit marabout, l'ibis à tête noire et le tantale indien (une espèce de cigogne). Ils nichent dans les zones les plus préservées de la forêt inondable, essentiellement dans l'aire de Prek Toal (portion nord-ouest du lac), formant d'impressionnantes colonies de plusieurs milliers de couples de plusieurs espèces durant la saison sèche. D'autres espèces menacées y habitent comme le pygargue à tête grise et le singulier et méconnu héliornis asiatique, sorte d'hybride de canard et de poule d'eau.

Aux basses eaux, des armadas de guifettes moustac, de cormorans et d'aigrettes picorent à la surface, plongent ou harponnent la grande manne de poissons du lac. Le milan à tête blanche, le balbuzard pêcheur et cinq espèces de martins-pêcheurs se rencontrent dans les méandres de la forêt. En fin de saison sèche, lorsque le lac se rétracte, des limicoles en migration se joignent aux nuées de hérons, crabiers et aigrettes et autres échassiers barbotant dans la boue de ses berges découvertes.

Enfin, de récentes recherches à la frange orientale de la zone inondée du Tonlé Sap ont identifié la plus importante population au monde d'une rarissime espèce d'outarde dénommée le florican du Bengale. Seuls 400 de ces oiseaux étaient auparavant connus en Inde et au Népal. Ces prairies naturelles abritent aussi l'aigle criard et impérial, et les quelques derniers survivants d'une espèce autrefois commune mais aujourd'hui au seuil de l'extinction, l'ibis noir.

La vaste forêt savane du nord, abri pour deux espèces mythiques. La région s'étendant au nord du Tonlé Sap et, vers l'est, jusqu'à la frontière vietnamienne est couverte en majeure partie de forêt claire tapissée de hautes herbes et parsemée de mares, constituant le biotope de prédilection de l'ibis géant. Cette espèce indochinoise endémique est très rare. Sans aucune observation pendant trente ans, on croyait l'espèce éteinte lorsque deux oiseaux furent signalés au sud du Laos en 1993. Quelques rares observations confirmèrent sa subsistance au nord-est du Cambodge. En 2001, dans la province de Preah Vihear, on découvrit enfin une population estimée à plus de 200 oiseaux, ce qui permet d'espérer la survie à l'espèce.

La grue antigone, mesurant plus de 1,50 m (immortalisée par un bas-relief du Bayon), niche dans la forêt savane en saison des pluies. En saison sèche, les grues se regroupent sur trois sites : deux dans le delta du Mékong, au Viêt-Nam, et un dans le Nord-Ouest du Cambodge, sur un réservoir déclaré réserve naturelle en 2000.

La province de Mondolkiri, fief du majestueux paon spicifère. Egalement représenté au Bayon, le paon spicifère est devenu rare, à cause de la chasse pour ses plumes et de la déforestation. L'espèce subsiste dans les vastes forêts de Mondolkiri. La répartition de l'espèce dans ce secteur a fait l'objet d'une étude approfondie conduite par un ornithologue cambodgien.

Rivières du nord-est, domaine de la bergeronnette du Mékong. Dans la province de Stung Treng, le long des rivières Sésan, Sékong, Srépok. Une communauté d'oiseaux tels le vanneau de rivière, la sterne de rivière et le grand oedicnème nichent sur les bancs de sable émergés en saison sèche. La présence humaine, les crues brutales déclenchées par un barrage vietnamien sur la Sésan, les animaux domestiques (chiens, buffles) provoquent la perte de nombreuses couvées... Ainsi, deux couples seulement de sternes à ventre noir subsistent sur la Sésan ; ils sont les derniers de toute l'Indochine !

En 2001, une espèce inconnue, vivant le long de ces rivières, fut découverte par des ornithologues et nommée bergeronnette du Mékong. Mêmes critères écologiques que ses congénères cités plus haut. Cependant, elle n'existe que sur les rivières du nord-est du Cambodge et du Sud Laos. Puisse l'intérêt mondial suscité par cette découverte déboucher rapidement sur de véritables mesures de protection de ce fragile écosystème.

Les chaînes montagneuses du sud-ouest pour une perdrix endémique au Cambodge. Le massif des Cardamomes (sommet à plus de 1 800 m) prolongé au sud par le plateau de Kirirom (700 m) et la chaîne des Eléphants (1 000 m) abrite une riche biodiversité dans ses forêts humides. S'élançant de la falaise du Bokor, les calaos bicornes et calaos à casque ondulé brassent l'air en un soufflement impressionnant. Dans les trois parcs nationaux de cette région (Ream, Kirirom et Bokor), des espèces typiques et colorées peuplent les feuillages. 300 espèces ont été recensées. Barbus, pigeons verts, perroquets, minivets écarlates et minuscules soui-mangas (sorte de colibris) brillamment colorés occupent la canopée alors que timalies et merles rieurs se faufilent subrepticement dans les buissons en donnant de la voix. Le parc de Kirirom a la particularité de posséder la seule forêt naturelle de pins du pays ce qui en fait le royaume des pics et des sitelles.

Il faut mentionner également ici la seule espèce d'oiseau véritablement endémique au pays : la torquéole du Cambodge, une sorte de perdrix arboricole. On sait très peu sur cette espèce redécouverte à Bokor en janvier 2000 (la précédente observation datait de... 1926). Les premières missions de biologistes dans les Cardamomes la même année ont cependant montré que, bien que difficile à détecter, elle était relativement commune.

La campagne cambodgienne : oiseaux des plaines rizicoles et des villages. Au cours de votre séjour au Cambodge, le paysage le plus typique et répandu que vous traverserez sera sans nul doute la plaine cultivée flanquée de ses inimitables palmiers à sucre. La vaste plaine inondable du Mékong-Tonlé Sap est la plus représentative de cet habitat façonné par l'homme, entrecoupé de marais, lacs et mares devenant parfois d'infinies étendues d'eau en saison des pluies. Malgré son caractère uniforme, on peut y rencontrer une variété d'espèces d'oiseaux. Pour en nommer quelques-uns parmi les plus frappants, citons le rollier indien aux ailes traversées de bleu électrique, le martinet des palmes, le guêpier à queue d'azur, le tisserin Baya et le traquet tarier. En hiver, le busard d'Orient quadrille de son vol bas les rizières à la recherche de rongeurs. Dans les vergers et jardins des villages, le merle Dyal à la livrée de noir et blanc contrasté se signale par de forts sifflements ; la tourterelle tigrine roucoule paisiblement et les petits groupes de bulbuls goyaviers se pressent d'un buisson à l'autre. Le moineau friquet est indissociable des habitations humaines. Le très joli dicée à dos rouge, un oiseau minuscule, se retrouve jusque sur les boulevards de Phnom Penh où il glane le nectar des flamboyants en fleurs.

Conservation : le temps d'agir ! En 1993, un décret royal établissait un vaste réseau de zones protégées dans le pays couvrant près de 20 % du territoire (un record en Asie) et le ministère de l'Environnement était créé l'année suivante. Près de dix ans plus tard, il est clair que la conservation des espèces et des habitats naturels est encore balbutiante dans le pays. La plupart des aires protégées n'existent que sur les cartes et les activités sauvages de coupe de bois et le braconnage ont dévasté la plupart des sites. La situation des zones humides n'est pas plus brillante. Le Cambodge a ratifié la Convention Ramsar en 1999, mais aucune gestion sur le terrain des trois zones inscrites à la convention (le Mékong à Stung Treng, Boeng Chhma sur le Tonlé Sap et Koh Kapik sur la côte) n'est actuellement opérationnelle. Le Tonlé Sap fut approuvé comme Réserve de biosphère par l'Unesco en 1997, mais le décret royal l'intégrant dans la législation nationale ne fut finalisé qu'en 2001. En 1996, une équipe d'enquêteurs estima que plus de 26 000 oeufs et plus de 2 600 oisillons furent collectés des colonies de Prek Toal, Tonlé Sap, pour la consommation locale cette année-là. Des efforts de sensibilisation des autorités et des villageois ainsi que l'installation d'une station environnementale ont significativement réduit l'ampleur des collectes depuis 1997, sans néanmoins avoir totalement éradiqué cette pratique. Face à cette sérieuse menace pour la survie des colonies, un programme de conservation avec protection permanente des colonies par des " rangers locaux " fut lancé en 2001 à Prek Toal, avec le soutien technique et financier de WCS.

Ainsi, après plusieurs années de limitations sécuritaires, puis de recherches scientifiques sur le terrain ayant permis d'identifier les zones prioritaires pour la conservation et les menaces sur les espèces, le Cambodge semble mûr pour agir en faveur de la protection de sa faune. A l'image de l'exemple de Prek Toal ci-dessus, des programmes de conservation sur le terrain sont en place à Mondolkiri, à Bokor, à Ang Tropeang Thmor (les grues) et dans d'autres zones où survivent tigres, grands mammifères et oiseaux menacés.

Outils pratiques : guides, publications. Comme guide d'identification, je recommande le remarquable : A guide to the Birds of Thailand par Lekagul & Round, (Saha Karn Bhaet Co, 1991). La plupart des espèces répertoriées au Cambodge y figurent. A Field Guide to the Birds of South-East Asia de Craig Robson (New Holland Publishers, 2002) est un ouvrage impressionnant et exhaustif, indispensable à tout ornithologue sérieux, mais dont la densité et le style rebuteront les débutants.

Où observer les oiseaux au Cambodge ?

Zones humides intérieures
Boeng Veal Samnap : un large marais à l'est du Mékong en face de Phnom Penh (rive gauche, au nord du Pont japonais ou au sud du pont Monivong).

Marais Basset (lac Samrong) : à 15 km au nord de Phnom Penh, par la route nationale 5 vers Kompong Chnang.
Marais Bassac (Prasat Tuyo) : entre le Mékong et le Bassac au sud de Phnom Penh. Accès par la route de Saang via Takmao ou par la route nationale 1 vers le Viêt-Nam. Le village de Prasat se situe au milieu d'un lac permanent au centre de la zone.

Tonlé Sap. Prek Toal : vaste forêt inondée à une heure de bateau du port de Siem Reap, vers Battambang. Forte concentration d'oiseaux d'eau en saison sèche (de novembre à avril).

Krous Kraom : 6 km au sud de Siem Reap, bifurquer à l'ouest vers le village de Roluos ; continuer vers l'est au bout du village sur une piste sablonneuse pendant 4 km. Un abri sur pilotis (rizière flottante) offre un bon observatoire pour le fameux florican du Bengale de janvier à juin.

Nord-Ouest
Réservoir de Tropeang Thmor, district de Phnom Srok, province de Bantey Meanchey, à 15 km au nord de la route nationale 6 (compter 2 heures de trajet). Population importante de grues en saison sèche. De nombreuses autres espèces ainsi qu'un décor sauvage de toute beauté en toute saison.

Zones côtières
Kompong Smach par la route nationale 4, à 40 km avant Sihanoukville, prendre la bifurcation vers Kampot sur quelques kilomètres jusqu'à la mangrove de l'estuaire qui héberge cigognes et marabouts à marée basse.

Prek Teuk Sap (Ream) : 20 km avant Sihanoukville, la route nationale 4 passe sur la rivière Teuk Sap. On peut louer un bateau pour descendre la rivière. Un large bassin d'eau peu profonde avant l'embouchure accueille marabouts et limicoles.

Forêts
Kirirom : prendre la route nationale 4 vers Sihanoukville, à environ 120 km de Phnom Penh. Diversité d'habitats : ascension à travers une forêt sèche, puis une forêt dense et finalement un plateau de pins. Logement disponible. Attention, très fréquenté le dimanche !

Bokor : à environ 10 km à l'ouest de Kampot par la route côtière vers Sihanoukville. L'ascension (20 km + 10 km sur le plateau) à travers la jungle peut être difficile : 4x4 ou motocross. Avifaune sur les versants, pauvre mais très particulière dans la forêt naine à 1 000 m d'altitude. Pluies ou épais brouillard garantis d'avril à novembre.
Angkor : bien que le corridor forestier ait disparu, la faune ailée des temples est un agréable contrepoint aux monuments. Angkor Wat, Preah Khan et l'enceinte d'Angkor Thom (muraille) sont des lieux intéressants.
Stung Treng, Ratanakiri et Mondolkiri : les coupes forestières ont fait du dégât. Mais explorer particulièrement la région de Lumphat pour les vautours ainsi que les rivières confluant à Stung Treng pour voir la fameuse bergeronnette du Mékong et autres espèces.

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